Je nous regardais dans le métro tout à l’heure, puis dans le train. Je nous regardais, le nez penché sur les surfaces miroitantes de smartphones, l’œil rivé sur l’écran plein de reflets d’un monde enserré dans l’image. Je nous regardais ne pas nous regarder. Quels étranges pays que ceux des regards noyés dans l’objet… Comme si l’humain était aspiré dans cette interface, qu’il y disparaissait tout entier, qu’il s’y murait, s’absentant de ce qu’il y a à voir autour de soi, se faisant étranger aux autres, eux-mêmes perdus dans l’ombilic de leurs songes numériques. Ne pas se voir, se retrancher de réel, non pas dans une vraie aspiration à la thébaïde, au désert, non pas dans un vouloir misanthrope, mais être enlacé par la force des objets animés par les algorithmes. C’est abyssal, au fond, rien que d’y penser. Mais 𝑙𝑒 𝑐𝑖𝑒𝑙 𝑒𝑠𝑡 𝑚𝑜𝑟𝑡, comme le criait Mallarmé… Et de quoi mourons-nous au fait ? De nos âmes mortes ? Des objets inanimés qui nous habitent ? De nos peurs d’être nous-mêmes ? Je nous regardais dans le métro tout à l’heure, puis dans le train. Je nous regardais, le nez penché sur les surfaces miroitantes de smartphones, l’œil rivé sur l’écran plein de reflets d’un monde enserré dans l’image. Je nous regardais ne pas nous regarder. Le Ciel est mort. — Vers toi, j’accours ! donne, ô matière, L’oubli de l’Idéal cruel et du Péché À ce martyr qui vient partager la litière Où le bétail heureux des hommes est couché. L’Azur- Stéphane Mallarmé
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